L’éthique et la question du temps
par Laurent Bibard
Il y a deux ordres de raisons pour lesquelles l’éthique individuelle peut représenter de nos jours un nouveau défi pour l’entreprise. Des raisons «négatives» d’abord : les entreprises ne peuvent plus faire ostensiblement fi des revendications individuelles de sens au travail, sans en payer tôt ou tard le prix.
Des raisons positives ensuite : si tabler sur l’éthique individuelle est toujours coûteux à court terme (formations, précautions dans les process, vérification de la qualité des produits, etc.), cela est toujours avantageux à moyen et long terme. Autrement dit, compter sur l’éthique individuelle de ses membres comme sur celle de ses clients, actionnaires, etc., est à terme rentable pour les entreprises.
L’instruction de la preuve de cette affirmation passe par l’examen de la façon dont se jouent au quotidien les questions d’éthique organisationnelle.
La théorie des organisations montre que le problème le plus difficile que les structures ont à résoudre est celui du maintien de leur vigilance pour éviter les effondrements de performance économique, les défaillances voire les catastrophes techniques, enfin les comportements ou décisions non éthiques. Or, ce problème revient tôt ou tard au problème de l’articulation au présent, des projets ou représentations individuels de l’avenir, et des routines (au sens non péjoratif du terme) toujours déjà agissantes qui, sur la base du passé collectif des organisations, font à la fois l’efficacité et les limites de leurs métiers et compétences. Le thème central d’un questionnement à la fois théorique et pratique sur les rapports entre éthique individuelle et entreprise devient donc, par-delà la médiatisation des grands scandales contemporains, dans le silence des ateliers, des usines et des services, le rapport conjugué au présent entre les représentations individuelles du futur, et les compétences collectives toujours tôt ou tard issues du passé. Entre l’individu et les entreprises, c’est le temps des organisations qui joue et qui se joue.