Benoit BAYLE
Psychiatre des hôpitaux et docteur en philosophie,
Praticien hospitalier au Centre hospitalier Henri Ey de Bonneval
La médecine de la procréation occupe une place centrale au cœur de la société, avec ses références incontournables : contraception, diagnostic prénatal, interruption de grossesse et procréations artificielles. Pourtant, une analyse de ces pratiques montre la logique de surproduction, de sélection et de surconsommation embryonnaire et fœtale sans laquelle la procréatique ne pourrait exister.
L’instrumentalisation de l’être en gestation interroge alors notre responsabilité. Mais elle ne pose pas seulement la question du statut de l’embryon humain. Il faut en mesurer l’impact sur la psychologie individuelle et collective des vivants. Que penser par exemple de ces nouvelles biographies prénatales ? Dix embryons sont conçus in vitro ; trois sont transférés à l’état frais, mais ne se développent pas ; quatre sont éliminés, car ils ne sont pas assez « beaux » ; trois sont congelés, puis transférés après décongélation ; un seul vivra, investi par ses parents comme un être à part, exceptionnel, qui a survécu aux autres. Ou encore : deux premières grossesses sont interrompues, car le père et la mère estiment que « ce n’est pas le moment » ; un premier enfant vivant naît, désiré par ses deux parents, puis un deuxième, pour lequel le père a souhaité l’interruption de grossesse, mais auquel la mère a voulu donner vie ; je recevrai cet enfant pour des troubles du sommeil… Que dire aussi de l’extinction progressive du groupe, génétiquement discriminé, des personnes atteintes de trisomie 21 ?
La société procréatique semble avoir glissé vers un rapport de domination de l’homme et de la femme sur l’enfant à naître, qui pourrait constituer une nouvelle forme de violence sociale. Cette réflexion éthique a permis de définir un nouveau champ clinique autour de la psychopathologie de la conception humaine. Plusieurs concepts ont été formulés, en particulier la notion d’« identité conceptionnelle ». J’ai également pu venir en aide auprès de personnes souffrant de problématiques psychopathologiques liées aux circonstances de leur conception. Enfin, j’ai partagé ces découvertes à travers la rédaction de plusieurs ouvrages.
Benoît Bayle, psychiatre des hôpitaux et docteur en philosophie, exerce au Centre Hospitalier Henri Ey (Bonneval, Eure-et-Loir). Les recherches en éthique médicale qu’il entreprend dès 1990 autour des enjeux éthiques et psychologiques de la médecine de la procréation, sont indissociables de sa pratique clinique, et l’amènent à explorer un champ nouveau : la psychopathologie de la conception humaine. Il s’agit de repérer et d’accompagner les problématiques psychopathologiques qui émergent dès la conception d’un enfant. Praticien hospitalier, il crée une consultation de psychiatrie périnatale, puis une unité de psychologie périnatale. Ses recherches aboutissent à la publication de plusieurs ouvrages, parmi lesquels L’embryon sur le divan (Masson, 2003), L’enfant à naître(Érès, 2005), Ma mère est schizophrène (collectif, Érès, 2008). Son dernier essai, À la poursuite de l’enfant parfait (L’avenir de la procréation humaine), paru aux éditions Robert Laffont, ouvre le débat sur la dignité de l’être humain conçu. Il a reçu le Prix « Coup de cœur » 2010 de l’Association des journalistes médicaux grands publics. Ses travaux s’orientent actuellement vers la psychologie morale et la logothérapie de Viktor Frankl, une psychothérapie fondée sur la volonté de sens.